[Podcast] Écoutez la tendance !
Dans cet épisode hors-série, nous plongeons dans l'univers des professionnels de la décoration pour explorer les sources d'inspiration qui alimentent leur créativité. Nous accueillons trois profils bien différents, mais liés par une passion commune, celle de créer et sublimer à partir de ce qu'ils captent du monde. Linda Fina, céramiste et créatrice de Maison Bonjour, Marie Grindel, spécialiste couleur et cofondatrice de la marque Mercadier ainsi que l'architecte Camille Hermand, décryptent pour nous l'essence même de leur travail. Cette entrevue sur écoute est réalisée dans le cadre du podcast Écoutez la tendance ! à retrouver chaque mois sur Côté Maison et toutes les plateformes d'écoute, pour un décryptage des tendances de l'univers de la décoration et du design.
De la nature à l'art en passant par les voyages et les souvenirs d'enfance, les professionnels de la décoration puisent dans des sources d'inspiration multiples pour façonner tant les objets que les couleurs et les intérieurs. Grâce à leur regard attentif et par un savant pouvoir de transformation, ils retranscrivent avec brio le monde qui les entoure. Ce voyage au coeur des influences des experts du monde de la décoration promet d'être inspirant et enrichissant.
Linda Fina décrit sa principale source d'inspiration comme "tout ce qu'elle a à l'intérieur d'elle". Ses voyages et découvertes façonnent la ligne directrice que prennent ses créations. Lors de ses déplacements, elle apprécie particulièrement apprendre de l'artisanat local, une traduction même de la culture par les couleurs, les matériaux et les techniques utilisées. "Tout ce que j'apprécie, ce qui me tient à coeur est retranscrit dans mes pièces, de la même manière que dans la peinture, ou le dessin, je réinterprète ce que je vois", confie la céramiste.
Ses souvenirs d'enfance ont également leur rôle à jouer. Elle évoque spécifiquement les céramiques accrochées aux murs dans la cuisine de sa grand-mère, qu'elle regardait avec admiration. "Ces céramiques originaires de Vallauris étaient très colorées et représentaient des fruits et légumes en volume dans l'assiette. J'ai ainsi pu réinterpréter ces belles créations, mais de manière plus contemporaine. Les fruits sont peints de blanc, et ce sont les reflets et le changement de la courbe du soleil qui révèlent les volumes", ajoute Linda Fina.
Dans l'atelier de Linda Fina, la texture et le toucher prennent toute leur importance. "Je découvre beaucoup de nouvelles techniques autour du monde ; les terres chamottées, les cordages, le raphia, les perles de bois, les mats et les brillances de l'émail et bien d'autres, qui me permettent d'illustrer mes pensées", précise-t-elle.
La créativité naît d'objets trouvés "par hasard"
"Lors de mon dernier voyage, je me vois encore plonger la main dans le sable face à la mer et tomber sur des petits morceaux de coraux rejetés par la mer. J'ai les ai de suite imaginé combinés à une céramique blanche lumineuse", explique-t-elle. Aujourd'hui, toute une collection de céramiques composées de coraux a vu le jour chez Maison Bonjour. Les coraux enlacent les vases comme si ces derniers avaient vécu des années au fond de la mer. La créatrice met à profit cette technique qu'elle apprécie tant sous la forme de bougeoirs, ou de centres de table à l'apparence de barrières de corail. "Je joue énormément du monde de la mer. Je peux jouer avec le côté lisse de la terre et la porosité du corail, le faire danser autour de la céramique", ajoute-t-elle.
Linda Fina traduit en volume un sentiment particulier qu'elle souhaite prolonger. Par exemple, de retour de voyage, avoir un morceau d'ailleurs chez soi, un souvenir immobile qui rappelle un ailleurs imaginaire.
Au-delà de ces sources d'inspiration premières, la créatrice s'inspire de l'histoire de la céramique en général pour ses créations. Elle prend l'exemple des amphores antiques, mais aussi des céramiques peintes dans les années 50 et 60. Cette décennie représente la renaissance de la céramique, d'un simple rôle utilitaire à de réelles oeuvres d'art. "Je pense particulièrement à la période du céramiste français Roger Capron avec ses soleils et ses fresques monumentales. La céramique a réellement cassé les codes et s'est découvert un côté plus libre", explique Linda Fina.
L'environnement de travail, vecteur de créativité
Le cadre de travail de Linda Fina a également son importance dans son quotidien de créateur. Depuis l'aménagement de son atelier dans d'anciennes tuileries restaurées pour un collectif d'artistes, elle a su y recréer un environnement qui la représente entièrement. "Il y a de grandes fenêtres et une belle lumière tout au long de la journée, c'est un mélange de récent et des vieux murs de la bâtisse rénovés, je m'y sens bien, c'était comme une évidence", confie-t-elle.
Se nourrir au quotidien
Lors de la création des nuanciers, Marie Grindel n'hésite pas à s'inspirer directement de ce qui l'entoure. Que ce soit une teinte sur un vêtement vu dans la rue, une autre sur une toile découverte lors d'une exposition, ou sur une feuille tombée au sol en automne... "Il est bien connu qu'une grande majorité des couleurs sont dans la nature aujourd'hui, c'est une source d'inspiration magnifique", confie-t-elle.
Les voyages alimentent l'inspiration
Ses nombreuses découvertes lors de voyages, ou ancrés dans des souvenirs anciens, sont également source d'inspiration pour la spécialiste couleur de la marque Mercadier. Ceux-ci sont retranscrits autant dans la couleur que dans le nom qui lui est donné. Elle évoque en particulier cinq teintes qui lui tiennent à coeur :
Le gris Nazaret, inspiré directement de l'atmosphère retrouvée dans cette ville côtière du Portugal. "Il n'y fait pas forcément beau, c'est une ville bien connue pour le surf. J'ai de suite su qu'il fallait l'intégrer à notre gamme de gris-bleus", confie-t-elle.
Le bleu Uluwatu, un second spot de surf, mais, dans ce cas-ci, à l'extrême sud de l'île de Bali. C'est ici un bleu tout droit inspiré des couleurs de l'eau, vif et vibrant, très joyeux.
Le rouge Basile, vu initialement sur la coupole de la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux à Moscou, une couleur évoquant les nombreux voyages de Marie Grindel en Europe de l'Est. "Nous avons fait notre maximum pour la traduire en peinture, on s'est pas mal débrouillé, je trouve", ajoute-t-elle.
Le bleu-gris Sheffield, décliné en béton ciré, le produit phare de la marque. Cette teinte douce est, quant à elle, inspirée de coloris vus en Angleterre, dans la ville de Sheffield - un mélange d'inspirations visuelles et de souvenirs précieux, glanés en arpentant les rues de la cité.
Dans sa réflexion, Marie Grindel n'oublie pas d'évoquer l'origine même de la marque Mercadier, sa culture et inspiration majeure : la Provence. Directement inspiré de la culture et du lexique local, les teintes portent des noms bien spécifiques, comme le beige "Dégun" (qui signifie personne), le jaune "Cagnard" ou encore le rose "Boudiou" (qui signifie bon dieu !).
Les souvenirs d'enfance comme source d'inspiration
La prochaine collection Mercadier est directement inspirée des souvenirs d'enfance de la spécialiste couleur. "Je ne peux pas confirmer aujourd'hui que les couleurs étaient exactement comme ça, mais en tout cas ça illustre au mieux l'image que j'en ai gardé aujourd'hui", explique-t-elle. Retranscrire des souvenirs en couleurs s'avère être le plus compliqué dans le processus de création. Spécifiquement dans le cas de Mercadier, où les teintes sont majoritairement déclinées dans différentes matières (béton ciré, chaux, peinture et autres). "Nous souhaitons que les clients puissent trouver les correspondances de leurs couleurs favorites dans les différentes matières pour confectionner leur décoration", dit-elle.
Ce travail de traduction d'une couleur est réalisé dans un laboratoire, de nombreux tests sont nécessaires. Cela peut partir d'un petit morceau de textile, d'un bout de papier, d'une feuille ramassée dans la nature : le support de départ n'est pas le même que la matière fabriquée. Cela représente un gros challenge technique, qui implique de jouer avec les pigments poudre, la coloration et les différentes techniques disponibles. Afin de s'approcher au mieux de teintes qui sont souvent, elles, très naturelles.
S'adapter à l'existant et son environnement
À la base de chaque projet, l'inspiration de Camille Hermand est sourcée directement par le lieu et son environnement. "Nous travaillons essentiellement sur des maisons existantes, que ce soit une rénovation ou une extension. Nous partons directement du jardin, s'il y en a un, des maisons environnantes, du paysage, c'est primordial. Par exemple, on n'abordera pas de la même manière un terrain en pente ou plat, un terrain avec vue ou sans", précise Camille Hermand.
La nature environnante, visible directement depuis la maison, est une inspiration majeure, afin de connecter l'une et l'autre. C'est même un point de départ dans la réflexion qui guide la rénovation. "Le type de bâti prend lui aussi toute son importance : nous n'allons pas aborder de la même manière une meulière en banlieue parisienne ou une longère en Normandie par exemple. En France, nous avons une architecture qui est très vernaculaire et régionale, on découvre toujours des spécificités du bâti ancien, tout en lui donnant un usage ancré au XXIe siècle. L'histoire de la maison implique aussi de s'adapter en fonction, de ne pas choquer la maison avec un geste architectural trop fort", explique l'architecte. Elle souligne l'importance de ressentir la nouvelle identité de la maison, qui doit avoir l'air d'avoir toujours existé, dans le respect de l'existant.
Camille Hermand prend l'exemple de deux projets de vérandas, similaires dans la technique, mais opposés dans la réalisation. Deux projets complètement réfléchis autour de l'espace extérieur disponible. "Dans la première véranda à Vincennes, on est vraiment dans la logique du jardin d'hiver, avec un mobilier assez léger et aérien, un code couleur vert. Une réelle continuité de ce jardin d'hiver vers l'extérieur, afin qu'il rentre complètement dans l'habitat", décrit l'architecte.
Partir de l'extérieur conduit à des architectures et des décors très différentes. Les couleurs, les matières, les tissus et le mobilier vont s'adapter à la vision de départ inspirée de l'extérieur.
S'inspirer du lieu et de son histoire guide l'architecte d'intérieur, mais ne fait pas tout : le travail réalisé en partenariat avec le client a toute son importance. "Il n'est pas toujours évident de trouver des idées communes avec nos clients, nos goûts peuvent être assez éloignés, il est alors important de trouver des passerelles, des idées communes", explique Camille Hermand.
Dans certains cas, le projet évolue énormément, l'avis initial du client aussi. La direction initiale change du fait d'avoir trouvé une manière commune de réfléchir le projet. "Nous avons aussi parfois carte blanche, les clients nous laissent nous imprégner du lieu et en faire ce qui nous semble le plus approprié. Il est alors possible de s'inspirer d'images de références, de belles choses vues, d'autres projets, ce qui apporte des idées qu'ils n'auraient peut-être jamais eu", confie-t-elle.
L'art et son degré d'importance en décoration
Camille Hermand met l'accent sur la manière dont l'art est aussi au coeur des sources d'inspiration des professionnels de la décoration d'intérieur. "Je pense en particulier à une exposition que j'ai pu visiter récemment, l'exposition rétrospective sur Picasso, pensée par le créateur de vêtements Paul Smith. C'est un profil très tourné vers le monde de la maison et des ambiances, il a mis en scène les tableaux au coeur de la déco de la pièce avec brio", explique-t-elle. Une manière subtile de souligner comment un papier peint, une ambiance, une matière peut tout à fait faire écho à une oeuvre d'art intégrée à sa décoration. "Il a pu jouer avec des papiers peints, avec des motifs sortis tout droit des toiles, avec des rayures (touche phare de Paul Smith), afin de mettre de la meilleure manière l'oeuvre en avant dans une salle", ajoute Camille Hermand.
Texte : Emma Mijnsbergen